Les humeurs changeantes d'Antigone

   Ça va bien, je crois, mais je me sens bizarre. Je suis allée en ville après le déjeuner, puis j'ai trouvé cela bizarre, il y avait des gens partout, puisque c'est les vacances, et j'avais l'impression qu'ils me regardaient tous, mais je sais que c'est n'importe quoi. J'étais faite de telle manière qu'on ne devait absolument pas me remarquer. Habillée tout en bleu (peut-être qu'ils me regardaient parce qu'ils pensaient que j'étais un schtroumf...), jeans et pull trop large. J'ai remarqué aussi que les gens ne se promènent jamais tous seuls dans la rue, et j'avais l'impression qu'il fallait que je culpabilise d'y être seule, un peu comme si je troublais le bon ordre de cette ville. J'ai ressenti cela, et pourtant, je sais que c'est n'importe quoi. Et c'était aussi l'impression d'avoir un panneau clignotant autour du cou, sur lequel tout le monde pouvait lire que j'étais un horrible personnage : renfermée, timide, maladroite avec les personnes et les choses ("Si tu la voyais à l'école : on a des tables de quarante centimètres de large, et elle fout toujours tout par terre…" disait encore une fille de ma classe à une de ses amies dernièrement), effrayée et lâche… Pourtant, je marchais tête haute, parce que malgré tout, je suis extrêmement fière, alors je fais semblant. Mais je ne sais jamais s'ils sont dupes, puisqu'il y a ce panneau…
   La simple action d'aller acheter du fard à paupières s'est muée en épreuve. Trop de gens partout, et une puissante envie de poser une bombe dans le magasin. Mais j'ai réussi à payer et à sortir sans commettre de meurtres. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai une totale haine des bandes de gamines de 15 ans qui essaient en gloussant tout le rayon de maquillage. Suite du programme : aller porter à réparer un collier. Ça allait, j'ai juste eu envie de tuer la vendeuse quand elle m'a fait épeler 10 fois mon nom et répéter 3 fois mon numéro de téléphone parce que je parle trop vite sans articuler et qu'elle ne comprend rien, et qu'elle pensait : "Mais quelle pauvre fille…". Puis après, je suis allée me ridiculiser à l'auto-école, parce que je n'étais pas au courant de l'ordre dans lequel faut faire les trucs : cours de sauveteurs, demande de permis d'élève, apprendre la théorie, réussir l'examen théorique, suivre les cours de sensibilisation, recevoir le permis d'élève, conduite, examen pratique réussi, permis. Si je me souviens bien. J'ai fait les sauveteurs l'année dernière, mais je suis incapable de pratiquer la respiration artificielle : je n'ai pas assez de forces pour faire les compressions de la cage thoracique (donc merci de ne pas faire d'arrêt respiratoire près de chez moi ; les hémorragies par contre j'accepte sans problèmes). Et après, en sortant de là je suis entrée en collision avec un pigeon qui avait des problèmes de décollage. J'étais morte de rire dans la rue comme une idiote, j'ai cru que j'allais m'étouffer.

   Y'a des journées comme ça où la terre entière me tape sur les nerfs. Mais sinon tout était bien. Une belle journée d'automne comme je les aime. Je me suis réveillée assez tôt pour des vacances et il faisait beau. Je suis sortie de mon lit pour ouvrir grand la fenêtre de ma chambre, et je me suis recouchée. C'était agréable d'être au chaud dans mon lit et de respirer l'air de l'automne comme ça. Les oiseaux piaillaient gaiement, les gosses des voisins d'en face se disputaient sur la route, l'air sentait bon le feu de bois parce que les gens d'à côté se chauffent à la cheminée, et puis je voyais l'arbre de devant ma fenêtre tout orange et rouge… Mais mon estomac m'a forcée à me lever pour de bon : y'avait eu que des patates la veille au soir et je crevais de faim. On voit soit que c'est la fin du mois, soit que ma mère s'est mise au régime en décidant d'en faire profiter la famille entière…