Les humeurs changeantes d'Antigone

   Mes grands parents étaient chez nous ce week-end... C'était pénible. Alors que j'aurais pu sortir pour fêter la fin des écrits du bac, il a fallu que je fasse acte de présence tout le week-end, et que je joue à mon jeu détesté : l'hypocrisie. Je n'aime pas du tout mes grands-parents ; ce sont les parents de mon père et je n'ai rien à voir avec eux, je ne peux pas les supporter. 

   Ils ont une manière d'être qui me rebute affreusement, des opinions politiques caricaturales, ils sont dépassés par tout, à leur âge c'est normal, on peut pas leur en vouloir, mais quand même, je pense qu'ils pourraient compter leur argent en euro plutôt que de s'exprimer en anciens francs... La mère de ma mère y arrive bien, et elle a pourtant le même âge que les deux autres. Enfin, voilà, ça m'énerve. Et puis, j'ai aucune envie de faire un effort pour les aimer alors qu'eux n'aiment que mon frère, pour la seule et unique raison que de la famille, ce sera le seul à prolonger notre nom. Doit-on encore, au 21e siècle, en Europe, entendre des propos comme ça sans trouver cela parfaitement débile ? Je me suis fait tuer par mon père, parce que quand ma grand-mère a commencé à faire son petit cirque avec mon frère : "Oh, mon petit chéri, mon petit héritier, comme je t'aime..." je me suis marrée. Je n'aurais pas dû, c'était une scène d'une émouvante sincérité, si ç'avait été de la tv, ça aurait fait des lacs de larmes dans les familles... Mon frère, pendant cette scène il me regardait en lançant des signaux avec ses yeux, genre : "Mais putain, quelle folle..." Le pire c'est qu'il est obligé d'écouter. Souvent j'ai peur que ça le rende con aussi. La catastrophe, c'est que cette attitude médiévale est clairement doublée de la certitude que les gars sont mieux que les filles, et entendre un discours pareil dans la bouche d'une femme, c'est vraiment pathétique, sutout pour une fervante partisanne de l'égalité des sexes. 
   Ils ne parlent jamais de rien, juste des gens qu'ils connaissaient et qui sont morts. A chaque fois qu'ils viennent chez nous ils se perdent parce qu'ils ne veulent pas payer sur l'autoroute. Ils nous parlent à mon frère et moi comme si on avait 8 ans, mais c'est sûr que toute femme que je suis, je ne dépasserait jamais ce stade mental là... 
   Alors moi ça me fait peur, pour une histoire de génétique je pourrais devenir comme ça plus tard, être comme mon grand-père qui a fièrement déclaré, hier soir, que les rêves ne servaient à rien. Il est sourd comme un pot parce qu'il refuse de mettre ses trucs pour entendre (je sais plus comment ça s'apelle), et donc on peut même pas lui répondre qu'il fait erreur sur toute la ligne. Les vieux comme ça, j'ai envie de les prendre et de les secouer... mais on peut pas. Y'a des tas de vieux qui se prennent en main, je crois que c'est une question de volonté, mais les miens n'en ont aucune.   

   C'était donc affreusement déprimant ; j'en connais qui disent à 60 ans je me suicide. C'est un peu con, mais ça relance le débat sur l'euthanasie... Peut-on vraiment être heureux quand on se sent mourrir à petit feu ? Je crois que oui, à condition de vivre pour construire quelque chose pour le futur, d'être altruiste. Le coup du suicide à 60 ans, ça me fout les boules, c'est comme dans un bouquin que j'avais lu, le Passeur, où quand les gens sont vieux on les élimine parce qu'ils ne servent plus à rien...