Les humeurs changeantes d'Antigone

   Visite au Château de Gruyères aujourd'hui, avec mes parents, moi dans le rôle de l'enfant unique, ma sœur partie vendre des hamburgers, et mon frère occupé avec sa pseudo "crise d'adolescence" (je crois qu'il est encore un peu jeune pour ça). Il traverse une période difficile, se rebelle contre tout (à la première remarque il insulte, crie à la seconde et pleure à la troisième), ce qui s'exprime principalement dans son refus de se couper les cheveux, de faire ses devoirs, et de suivre les conseils parentaux. C'est pas facile de grandir quand on est le petit dernier, et qu'on a deux grandes sœurs assez pénibles (dans le rayon, je n'arrive qu'à la cheville de mon aînée)... J'ai été plus facile, comme gosse, je pense. J'ai toujours tout pris sur moi, sans jamais laisser transparaître la moindre émotion. J'étais un peu invisible pour mes parents, je crois. En tant qu'enfant du milieu, cette situation m'apparaît comme assez normale, en fait.
   Enfin, la question n'est pas là. Le sujet c'est l'excursion à Gruyères. Il y a une exposition de dessins de John Howe, sur Tolkien. C'était beau. Et là, j'aimerai être capable de retranscrire les émotions que Howe fait toujours ressortir en moi. Mais je suis complètement bloquée émotionnellement, donc... Tout de même, j'ai ressenti, et fort. Déjà y'a le cadre : le château que j'aime bien, et le village de Gruyères... Le château surplombe la vallée, et quelle que soit la direction vers laquelle on regarde, on est entouré de montagnes, déjà toutes blanches. L'hiver est mêlé à l'automne, puisque les arbres ont encore beaucoup de feuilles, parfois toujours vertes. Et le passé rejoint le présent. Je vois les pierres du château, et j'imagine tous ceux qui les ont touchées avant moi, et surtout, puisque Tolkien fait fort pour cela, j'imagine les hommes héroïques qui se sont succédés ici, dans la salle de chevaliers ; mais dans les faits, rien ne dit qu'ils étaient héroïques, et sans doute la plupart étaient loin de l'être, mais c'est mieux de les voir ainsi, c'est bon de rêver. J'aurais envie d'y rester toujours, dans ce village, c'est comme si là bas, je pourrais toujours savoir qu'écrire... Quand j'étais petite je rêvais, outre de devenir navigatrice, d'être gardienne de phare. Et maintenant, c'est au cœur de ces montagnes que je me sens chez moi. 
   Bref, c'était bien, même si je connaissais déjà une bonne partie des dessins exposés. Après je me suis attelée à reprendre les deux kilos que j'ai perdu intentionnellement pendant les vacances : meringues à la crème de Gruyères, au resto avec mes parents. Je crois que je les intimide un peu, ils ne savent jamais quoi me dire, et alors personne ne dit rien, parce qu'ils ne se disent plus rien entre eux. Au retour détours dans la campagne, avec le soleil qui se couchait, puis la neige un peu partout, et les petites routes désertes... C'était beau.
   Envie de revoir la mer, l'Atlantique, de redevenir la petite fille que j'étais, sauvage et qui ne craignait rien... Et pourtant les montagnes égalent la mer, dans mon cœur.  
   [Oh... Souvenir soudain du voyage en Bretagne avec l'école y'a deux ans, et du pauvre con que j'aimais à l'époque (l'enculé qui, quand il m'a vue aux écrits du bac, m'a snobée de la plus belle manière qui soit ; et dans le même couloir duquel j'ai attendu pour l'oral, en faisant comme s'il était invisible...).]