Les humeurs changeantes d'Antigone

   Fatiguée, mais n'ayant pas envie d'aller se coucher, l'Antigone qui a affronté sa journée d'anniversaire, et même son lendemain, écrit en sirotant son thé, emmitouflée dans une couverture volée dans un avion, et se mouche toutes les trente secondes. J'attaque ma dix-neuvième année avec un rhume. Finalement ça n'a pas été aussi horrible que ça aurait pu. Samedi midi on a fêté ça en famille, et c'est allé ; pour une fois il n'y a pas eu de hurlements, malgré le gâteau pas assez cuit… Mes parents m'ont offert un appareil photo numérique. Drôle d'idée pour quelqu'un qui dit détester les photos, généralisant sa haine des photos d'elle-même. Depuis que je l'ai je passe une bonne partie de mon temps à me prendre en photo moi-même et à regarder le résultat avant de tout effacer en maudissant ma déplorable photogénie… Je m'amuse bien, moi…
   Ma meilleure amie de l'école primaire, quand j'habitais à Paris m'a téléphoné. Ça m'a fait bizarre, je ne m'y attendais pas. Et pourtant ça fait 12 ans qu'elle m'appèle chaque année, et que je lui rends la pareille au moins de janvier. Mais j'avais pensé, parce qu'elle a beaucoup changé et moi aussi, et parce que l'année dernière nous n'avions rien trouvé à nous dire lors de ces appels, que je n'aurais plus l'occasion de lui parler.
   [Bizarre, ce parcours de vie. Depuis Paris, chacun de nos déménagements nous a fait partir vers une ville plus petite à chaque fois. Lausanne puis Fribourg, capitale du canton homonyme, petite ville dont il semblerait que personne n'ait jamais entendu parler, ou que l'on mélange avec Fribourg en Allemagne. Bah voilà, vous connaîtrez Fribourg, une petite ville bilingue, à la frontière entre Suisse romande et Suisse alémanique. Pour les habitants des autres cantons romans, on est des paysans, des rustres…]
   Ma seule amie durant quatre terribles années à Lausanne m'a aussi appelée, outrée, ou presque, que je n'aie rien organisé pour mes 18 ans. Elle, s'était en mai dernier, et elle avait fait un repas chez elle, avec toute sa classe, où elle m'avait invitée. Je ne connaissais que quatre ou cinq personnes. Elle, c'est vraiment une fille bien, je crois qu'il n'y a personne au monde qui puisse ne pas l'apprécier. C'est un don que j'aurais aimé avoir, savoir me faire aimer n'importe comment et de n'importe qui… 
   (Mais peut-être pour mes 20 ans… Sait-on jamais.)
   Hier soir, je suis sortie avec une copine et des amis à elle. On est allés faire un bowling, puis on est allés en boite à Lausanne. Première fois de ma vie. C'était pas une mauvaise soirée ; c'était bien, même.
   Ce que j'aime, la nuit, ce sont ces autoroutes désertes, ces nappes de brouillard éparses… Je les apprécie sûrement parce que je ne conduis pas. On y voit rien, et y'a le faisceau des phares qui éclairent les panneaux, la lune que l'on voit parfois au travers de la brume. Je trouve tout cela beau. 
   Il en faudrait de peu pour que la dernière chose qui me reste de mes 18 ans soit ce trajet de retour de Lausanne à Fribourg… (Mais pourquoi les lieux me marquent-ils plus que les personnes ? Dans mes photos de vacances de l'été dernier, la meilleure photo, car peut-être la seule que j'ai prise avec un vague souci esthétique, est celle de mon arrêt de train…) Peut-être qu'un jour cela me passera. Quand je n'aurais plus peur que l'on ne m'apprécie pas, je pourrais me montrer aux êtres humains avec autant de naturel qu'aux lieux. Quand j'aurais confiance en moi, quand le jugement d'autrui ne me fera plus aussi peur, quand j'accepterais de m'attacher vraiment à quelqu'un… Un jour alors, un jour auquel rien ne m'empêche de rêver…