Les humeurs changeantes d'Antigone

   Je voudrais écrire un truc beau, vraiment beau, et touchant, ça vous ferait pleurer de le lire, et vous ne comprendriez pas, puisque vous souririez en même temps… C'est l'intention qui compte de toute façon, alors si ce que j'écris n'est pas beau, rappelez-vous juste que je voulais que ça le soit.

   En ce moment je me sens très plate. Sans intérêt, niaise et nulle à souhait. Incapable de ne rien faire. Même pas de travailler. Je me place en condition d'échec, de moi-même, et pourtant j'aimerais me tirer de là avant que ça ne soit trop tard. Je voudrais rentrer de l'école l'après-midi, et me mettre à mon bureau pour travailler avec plaisir et envie… Faudrait peut-être que je fasse la part des choses, que je fasse un peu de méthode Coué, chaque jour me répéter 1000 fois que j'aime travailler, que j'aime faire des maths, que j'aime apprendre du vocabulaire d'allemand, que j'aime apprendre ma grammaire anglaise, que j'aime les dissertations d'économie…

   Et puis, le monde, parfois c'est trop bizarre, et j'y comprends rien. On me raconte des choses qui s'y passent, et c'est vraiment pas normal, ça ne devrait normalement pas être comme ça, et puis je sais pas… J'aime pas tant ça. Je n'arrive pas à comprendre les mécanismes fonctionnels qui produisent de tels évènements. Je voudrais une vie joliment normale, où tout s'enchaînerait logiquement, parce que les situations anormales ne se produiraient pas.
   Simple exemple, dans une vie normale, je ne me serais jamais retrouvée, à 18 ans, confidente attitrée d'un enfant de 13 ans, et je ne me retrouverais pas en situation de me faire engueuler par lui parce que certaines de ses confidences n'ont su rester à leur place, puisque je ne sais pas tenir ma langue…

   Enfin, je m'ennuierais encore plus dans une vie normale ; il n'y arriverait pas de déclarations bien bêtes de ce genre :

   Il dit :

            Antigone, plus jamais sans que tu ne me le demande je ne te toucherai ; tu m'a sauvé…

   Etonnante façon d'exprimer sa gratitude, j'aurais préféré qu'il dise qu'il ne me frapperait plus, puisque je n'ai jamais rien eu contre des caresses données gentiment. J'espère que toucher inclut les coups et les poignets tordus… J'aurais préféré qu'il me dise que j'aurais des photocopies illimitées jusqu'à la fin de l'année, et qu'il n'y aurait plus de traités ratifiés sans que je ne sois sûre de gagner la partie.

   Juste un conseil pour la terre entière : Si vous tombez amoureux, achetez-vous des lunettes.