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Je voulais parler de ma sœur ce soir, pour essayer de comprendre comment elle et moi on en est arrivées là, à s'ignorer, à se détester presque… C'est ma grande sœur, elle a 20 ans, trois de plus que moi.
Quand on était petites, c'était pas la super entente, comme c'est souvent le cas dans la plupart des familles. Elle me faisait peur, je lui obéissais, même quand elle avait des idées débiles, j'étais trop petite pour résister ; et je lui dois une jolie cicatrice en forme de flèche sur le menton, une cicatrice sans aucune utilité, si elle changeait de sens avec le vent elle pourrait me servir de boussole, mais ce n'est qu'une cicatrice sans intérêt, dont la seule particularité est d'être de plus en plus visible d'années en années… Plus tard, quand elle est entrée au collège, elle me détestait pour de vrai, je crois. Elle n'avait pas d'amis, elle me jalousait les miens, et parvenait presque à me faire culpabiliser. Quand on a déménagé pour aller en Suisse, ça a pas été facile, ni pour elle ni pour moi, mais curieusement, ce malheur partagé n'a pas suffit à nous permettre de nous entendre mieux. C'était pas facile de débarquer dans cette petite école privée, dans une classe de 15 élèves, après avoir eu droit à l'école primaire publique à Paris, où on était trente élèves par classe, et où il y avait 3 classes de chaque niveau, le petit nombre de 450 élèves, dont une centaine devaient avoir mon âge. Je voudrais pas qu'on m'accuse de me plaindre, mais c'était affreux, et quiconque n'a pas essayé ne peut pas vraiment comprendre… Quand vous ne pouvez vous entendre avec personne dans la classe, dans une école comme ça, vous ne pouvez pas aller voir ailleurs ce qu'il y a, parce qu'il n'y a personne d'autre. Je pense quand même que j'ai essayé de me faire aimer de mes camarades de classe. Mais on n'avait des idéaux qui n'étaient pas les mêmes. A 10 ans, mes jeunes camarades de classe parlaient déjà régime, mode, et votaient entre elles pour savoir lequel des mecs de 4ème était le plus beau. Moi, je n'avais vraiment rien à faire de régimes, à l'époque je devais peser 19 kg pour 1m25, mes vêtements je m'en fichais, on m'habillait avec n'importe quoi, et les gars de 4ème, ils ne m'intéressaient pas, ni aucun d'ailleurs. Moi, je voulais juste qu'on me laisse rêver, vivre comme je voulais, être un garçon si ça me plaisait, faire de la balançoire pour m'envoler, sauter en battant des ailes comme un oiseau, profiter de la nature dont on m'avait privée à Paris, grimper aux arbres, faire de la luge pour la première fois de ma vie… Je devais être en retard pour mon âge. Je jouais encore aux legos, aux playmobils, aux petites voitures, et j'avais reçu une poupée pour mes 10 ans, la dernière, comme Sarah dans ce bouquin pour enfant : La petite Princesse. Pas mal de gens doivent connaître, à l'époque ça passait en dessin animé. Moi je lisais tout le temps, n'importe quoi, ce qui me passait sous la main, mais surtout des bouquins pour enfants. Ce qui fait que ma vie d'enfant de 10 ans normale, je l'ai quand même vécue, au travers de certains héros, je l'ai vécue à mon époque, avant et même après, dans mon monde et dans d'autres… Mais jamais je ne suis devenue une petite Emma Bovary… C'est à cette époque que j'ai commencé la rédaction de mon premier conte, mais comme tant d'autres choses, je l'ai égaré avant de l'avoir achevé, et j'ai arrêté, pendant 4 ans, d'écrire quoi que ce soit. Je me souviens plus trop de ma vie après, sans doute je ne vivais pas, ou bien la vie que je menais ne ressemblait pas à la vie d'une gamine entre 10 et 14 ans. A cet âge là, jamais je n'ai été invitée où que ce soit par qui ce soit, il n'y eut pas une nuit où je ne dormis pas chez moi… Et d'autres petites conneries qui vous gâchent la vie.
Alors vous arrivez à l'âge de 15 ans, vous n'êtes capable ni de vous maquiller, ni de vous coiffer, ou encore d'acheter des vêtements qui vous vont… parce que tout ces petits trucs, en général, on les apprend en déconnant avec ses copines… Puis progressivement, vous grandissez encore, vous apprenez en tâtonnant, vous avez 16, puis 17 ans. Ça commence à faire vieux, pourtant, aucun garçon ne vous a jamais regardée, ou touchée à moins d'avoir été complètement bourré, on vous a rarement aimée, et ceux à qui s'est arrivé n'ont pas osé le déclarer, car c'était "la honte". Un jour, enfin, vous vous regardez dans le miroir, et soudain, c'est la révélation : vous avez le droit d'exister. Eh oui, on ne vous l'avait pas encore dit, mais vous êtes un individu comme un autre : deux yeux, une bouche, des cheveux, des bras, des jambes… et tout le reste. Alors tout à changé, un peu au moins, depuis cette époque, j'ai changé d'école 2 fois, et maintenant, j'ose dire que ça va mieux dans ma vie, c'est pas toujours super, j'ai mes mauvais moments, mais je m'y fais. Le temps que j'ai perdu bêtement dans ma vie, je ne le rattraperais jamais. Mais cette vie que j'ai eue m'a appris la solitude, et je ne dépendrais jamais de personne, je peux être seule, j'en ferais ma force. Le bouquin que j'écris, c'est une espèce de conte improbable pour enfants, met en scène ce que je connais. Deux gamins seuls, face au monde qu'ils doivent sauver parce que c'est leur destinée.
J'ai pris ma revanche, et l'autre jour, invitée à une fête chez mon unique amie de ma première école en Suisse, j'ai pu prendre ma revanche sur tous ceux qui m'avaient méprisée. Ils ont eu droit à l'Antigone des meilleurs jours, à celle qui veut prouver qu'elle a, comme n'importe qui, le droit au bonheur. Ils ne restait que cinq personnes que j'avais connues à l'époque, mais c'était déjà bon de montrer que moi aussi je pouvais être gentille, jolie, et faire rire les gens…
Avec le recul, quand je repense à tout cela, je ne comprends pas vraiment. Comment ai-je pu me laisser mettre à l'écart par une bande de petites pimbêches premières de la classe, et pourquoi j'ai accepté d'être malheureuse pendant au moins 5 ans sans rien faire, pourquoi j'ai assumé ça comme si c'était une fatalité, et surtout qu'est-ce que j'avais fait de travers pour en arriver là…
Je devais parler de ma sœur, et à la place, c'est de moi que j'ai parlé. Mais voilà, ça devait sortir, je me suis débarrassée de la fin de mon enfance et du début de mon adolescence pourrie. On comprendra mieux qui je suis, pourquoi je suis comme je suis, pourquoi je m'attache aux détails sans importances, pourquoi je suis si naïve, et encore plus innocente qu'une enfant de 14 ans…
J'ai appris par mes informateurs que l'indiscret avait arrêté de chercher mon journal. Ce n'est pas encore gagné, parce que mes informateurs peuvent être désinformés… Aussi vicieux que ça, l'indiscret ? Je ne sais pas, et comme je n'ai pas envie de retourner dans les mêmes réflexions qu'hier, je vais en rester là.