Les humeurs changeantes d'Antigone

"Antigone, ou peut importe comment vous pouvez l'appeler, passe, enfin, fini de passer son bac — de le louper. Pourtant ses profs ont hésité à lui mettre un avis très favorable. Ils doivent se dire tant mieux. Elle regrette de ne connaître personne, d'être la seule de sa terminale à passer son bac cet aprèm. L'ancien Lui lui a dit bonne chance ce matin, mais c'est limite si ça ne va pas lui porter la poisse. Tant pis, il remplit son rôle à la perfection. Bien élevé, aimable juste ce qu'il faut. Il fait son boulot de mec qui ne veut qu'être correct. Il n'a pas compris le paradoxe. Mais qu'à cela ne tienne, Antigone dans ce couloir attend de finir son bac. Elle observe soigneusement les parages : un troupeau de passeports rouges, elle est binationale, mais pas polyglotte pour autant. Assise dans le couloir, toujours en position de recul, observe les candidats bacheliers. C'est quasi euphoriques, certains du moins. Nerveusement tous rient pour des riens, disent des conneries, on spreche une langue mischung deutsch und fransözisch. On cherche des mots dans le dico, mais avant d'avoir eu le temps d'ouvrir le wörterbuch, on ne sait déjà plus quel mot posait problem. On s'angoisse : "ceux là ont un bouquin, moi pas !" On ragote : "De toutes manières ils saquent les Suisses…!" On prie pour avoir un homme, parce qu'à ce moment là on ouvrira un bouton de plus du chemisier. On se remaquille ou se démaquille selon ce qu'on a pu entrevoir du sexe de l'expert… Ambiance particulière que cette attente d'orale. Remarque qui tue : les mecs en France sont bien. Sentiment sans doute renforcé par la rareté relative du panel masculin dans sa classe ces deux dernières années. C'est gai, c'est nerveux. Cette après-midi l'école est finie. Cette après-midi la vie commence. Ils ont cette impression, on dirait bien. Elle pas trop. Mais bon. Passons leur, le stress rend con, euphorique… Pas moyen de réviser dans ce couloir, bloguons sur papier pour en pas penser à l'avenir incertain qui s'ouvre à elle. Tout ira bien. Tout doit aller bien. Ce couloir se vide dangereusement. L'école est finie. Je veux rentrer chez moi."

Oui, vraiment pas moyen de réviser dans ce couloir. Alors j'écrivais. Et là, malgré un mal de tête bizarre qui endort une partie de mes perceptions (j'ai l'impression d'être assise en l'air, et de ne plus avoir de jambes…), je recopie, travail pas trop intellectuel. A la fin, quand j'en pouvais plus, j'ai dessiné Superfrosch, laquelle se prenait un peu pour Buzz l'Eclair, à tel point d'en lancer avec ses yeux. Mon voisin de couloir de devant se marrait, moi aussi. Frosch VO aussi.

Malheureusement, elle ne m'a pas tellement porté la chance escomptée. Non, l'école est loin d'être finie. Et j'en viens à me demander si je n'avais pas envie de louper mon bac. Alea jacta est Si c'était à refaire…