Les humeurs changeantes d'Antigone

Il y avait les rêvasseries dans le bus, les folletés que je disais, allongée en travers d'un siège, me prenant pour la pythie, cherchant ma transe dans les cahots du véhicule. Je sortais tout ce qui me passait par la tête, sans soucis de cohérence, et je chatonnais parfois, parce que je voulais qu'il pleuve. Il arrivait qu'on parlât (que je donnasse conférence). Une fois je me souviens, des conditions de vie des femmes en Afghanistan, et comme je faisais toujours tout en avance, on était qu'au début 2001, et l'autre, là, me menaçait de me frapper si je ne me taisais pas. Je ne me laissai pas intimider ; je devais me sentir courageuse à braver les menaces pour parler des problèmes du monde à des gens qui s'en foutaient à 8h du matin. Finalement, j'ai ramassé une gifle, alors j'ai pris mon cahier de maths, et j'ai répété. Autrefois je me sentais au-dessus de tout et de tout le monde dans les meilleurs moments, et incomprise à en chialer dans les pires. Je ne créais rien, j'assimilais des infos, mettais des mots sur des émotions que je ne maîtrisais pas, jouais l'écrivaillon public rimeur, vénérais les Lumières, récitais par cœur la balade des pendus de Villon… Je jouais l'intelligente devant des gens qui "ne connaissaient rien". J'écrivais des textes que je jugeais philosophiques, les signais d'Alembert ou Voltaire pour leur donner de l'impact, et les donnais à lire comme autant de vérités qu'on n'aurait su contredire, imposant mes visions du monde, du partage, de l'amitié, de la connaissance… Mais putain qu'est-ce que je me faisais chier. De la communication mais pas d'échanges. Il a toujours fallu que je parle. Aujourd'hui encore, quand je rentre chez moi le soir il faut que je raconte des conneries de ma journée, pourtant je suis une grande fille. Mais je ne suis pas certaine de savoir échanger. Je me suis peut-être trouvée trop rarement en situation de le faire, et quand c'est arrivé, je ne savais pas vraiment comment faire. Mais c'est arrivé, et même qu'on me dise après qu'on avait vraiment aimé cette discussion, hier matin…)'Espère juste que c'est pas trop tard pour apprendre vraiment. (Et celui qui pense à me donner en commentaire l'adresse d'un club échangiste peut sortir tout de suite.)