Les humeurs changeantes d'Antigone

   J'ai pris quelques résolutions ce matin, histoire d'arrêter de passer mes journées à ne rien faire, telle une larve inerte (je suis une larve inerte)… D'abord j'ai rangé ma chambre, ce qui m'a permis de relativiser quant à la petitesse de mon bureau. Une fois les bouquins empilés par terre, et les feuilles regroupées en tas (6 cm de travail en retard…), (opération qui m'a permis de retrouver ma souris d'ordi et mon livre d'éco, tout neuf, jamais ouvert), je me suis aperçue que j'avais la place de travailler. Je vais m'y mettre bientôt, ça donne tellement plus envie de bosser quand c'est en ordre… !
   Voilà. Sinon un problème s'est présenté hier soir à ma petite personne. L'occasion m'est donnée, à Lausanne, le 6 décembre, de passer la soirée avec une quinzaine de personnes que j'aime dans une marge allant de pas du tout à un tout petit peu. Alors je ne sais pas. Y vais-je, ou n'y vais-je pas ? Ça peut être dangereux d'y aller, je risque d'en sortir en mauvais état mental. Je sais pas. J'hésite. Le train jusqu'à Lausanne, c'est cher. Et si je me jette sur les rails en revenant, ça coûtera cher aux CFF… Revoir tous ces gens risque de me rappeler des mauvais souvenirs, ou des bons douloureux. Va falloir que je sois je ne sais plus qui. [Ils n'ont jamais su qui j'étais.] Pour eux, j'étais la conne de service. L'idiote. L'innocente. La perdue. La chiante. La folle. Oh, ils ne comprenaient rien. Ou plutôt elles. Eux, ils ne m'ont rien fait. Et Lui. Je ne saurais jamais ce qu'il pensait. Alors finalement je leur ai menti. Pour légitimer mon mal-être, parce qu'elles étaient bien incapables de comprendre et d'accepter la différence. "Mon frère est entré à l'hôpital hier, ils attendent les derniers résultats, ils craignent que ce soit une leucémie." Je suis horrible. Je ne sais même plus pourquoi je suis entrée dans ce délire ; je ne voulais pas de leur sale pitié. Dans mon cœur, c'était tout mort, et avec ce mensonge je n'avais plus besoin de me forcer à sourire, elles ne pouvaient plus dire du mal de moi dans mon dos… De pauvre conne je devenais pauvre fille qui enchaîne malheur sur malheur, le jouet du destin. Je me suis déchargée de tout. J'étais morte, je ne pouvais plus rien. J'avais besoin de me replier sur moi. C'était de ma faute si elles ne m'aimaient pas. J'aurais dû adhérer aux mêmes idées qu'elles.
   Et puis, ils se moqueront de moi. "Et avec A*****, alors ?" Alors quoi ? Alors, rien, je répondrais. Ça sera marrant… [La prochaine fois que je tombe amoureuse, je garde le secret pour moi.] Et puis elles devaient rire de lui : "Le pauvre, cette conne qui tombe amoureuse de lui !" Ça me fait plus rire qu'autre chose. Je leur dirais je ne l'aime plus, et mes yeux ne brilleront pas quand je prononcerais son nom, je dirais on se parle un p'tit peu, de temps en temps, sur Internet, pi voilà. Je leur dirais c'est quelqu'un que j'aurais voulu connaître… Puis je leur dirais maintenant j'ai un copain, pour avoir l'air normale, mais ce sera un mensonge, et elles y croiront quand même. Et je jubilerais d'avoir encore fait illusion.  
   Je vais y aller, et quand je reviendrais, je n'aimerais plus du tout les Suisses, enfin, je n'aimerais surtout plus les Genevois et les Vaudois, et aussi un peu les Valaisans, mais très peu les Neuchâtelois. Mouais, je sais qu'il ne faut pas généraliser. Je serais la seule fribourgeoise. J'aurais honte aussi d'avoir menti. Mais y'a des moments où c'est ce qu'il y a de mieux à faire. [Parce que moi ça me fera chier de passer la soirée à parler de la Star ac.] Et puis je serais jolie et je sourirais, et je parlerais juste un peu, comme ça elles ne me reconnaîtront pas.