Les humeurs changeantes d'Antigone

   Rentrée, rentrée... On voit ces mots-là partout, aujourd'hui. Pas chez moi, c'est demain matin, et je préfèrerais que ce soit jamais...
   Cet aprèm, je suis allée boire un verre avec quelques camarades, et comme si je n'étais pas là, j'ai observé Antigone à la veille d'entrer en terminale, Antigone qui aurait pu avoir terminé cette année mais qui a préféré redoubler sa 4^ème. Ce après, je me suis souvenue de la petite fille que j'étais à mon entrée en CP... J'y ai songé un instant, puis il a fallu revenir à la réalité, converser, s'intéresser, exister dans le présent... Mais dans le bus, en rentrant, et sur la route après, j'ai repensé... Lehmann, les voisins, j'ai lu pour la première fois le nom en passant devant leur boîte aux lettres. Il me rappelle quelque chose, je me suis souvenue de ce garçon : mon amoureux du CP, retrouvé quelques années plus tard dans une colonie, où j'étais avec ma meilleure amie de l'école primaire, à Paris, avec qui je suçais des sticks de colle, et faisais exprès des trous dans mes collants à coup de ciseaux...
   J'ai voulu mieux me souvenir, et dans la caisse sous mon lit j'ai retrouvé la photo de classe de CP. Assise au premier rang, avec mes grands yeux noirs foudroyant le photographe... "Mais qu'est-ce qu'il t'a fait ?" s'énervait ma mère chaque année. Je n'ai jamais pu le supporter, il y a eu 4 photos comme celle-là, la seule qui ait traversé toutes ses années c'est celle du CP. Je me souviens des noms de certains d'entre eux : il y a Ella qui me volait toujours mon goûter, Caroline qui avait jeté mon bonnet dans les chiottes... Comment se fait-il que les noms qui demeurent ancrés appartiennent aux enfants que je n'aimais pas ? Je me souviens le nom de ce garçon, le même que celui de mon petit frère. 
   L'entrée au CP... je m'en souviens bien. C'était bizarre de retourner à l'école, n'y étant pas allée en 3^ème année de maternelle. Dans la cour avec ma mère pendant que la directrice faisait l'appel, puis entrée dans la classe... Je ne me souviens plus si j'avais peur, ça ne m'a pas marquée. En tout cas c'était un grand pas dans ma vie. 
   Je rentrais seule de l'école, je traînais en route, cherchant déjà quelque chose de magique, je ne savais pas quoi. Je m'asseyais parfois sur les marches devant les immeubles, au soleil, songeant, je ne me souviens plus à quoi. L'aventure de cette année-là, c'est le jour où je suis rentrée à la maison avec deux flics, qui m'avaient croisée dans la rue, et avaient dû me prendre pour plus jeune que ce que j'étais vraiment. Ils m'ont suivie jusqu'à l'appartement, pour voir si je n'étais pas une pauvre gosse délaissée par ses parents. Je leur ai montré comment je faisais le code de la porte d'entrée à l'aide de mon double-décimètre (j'étais trop petite pour y arriver normalement), même combat pour appuyer sur le bouton de l'interphone en escaladant les boîtes aux lettres... Exercice difficile, surtout alourdie comme j'étais par toutes les billes dans mes poches... Je regrette de ne pas me souvenir de la tête de ma mère en me voyant arriver avec mes flics...
   Suis-je aujourd'hui ce à quoi s'attendait cette gamine ? Je n'en suis pas sûre, on rêve tant, à cet âge-là. Je ne l'ai pas déçue, je veux le croire. Que me reste-t-il de cette époque là, hormis cette photo ? Rien... Ah si, je me souviens des chansons qu'on apprenait au cours de musique, partiellement. Les livres que j'ai lus à cet âge doivent faire partie des fondements de mon être, très loin, là-bas, au fond... La petite maison dans la prairie, Princesse Sarah, Amandine Malabul la sorcière malhabile, Mathilda, le Bon gros géant... (Je viens de me rendre compte, les héroïnes de ces bouquins sont toujours des filles, et j'ai beau me creuser la cervelle je n'en trouve aucun dont le personnage principal soit un garçon, à part Petit Ours Brun, mais là ça remonte trop loin...). J'ai appris à lire vite, je piquais les livres de ma sœur, mon aînée de 3 ans. Pour écrire, c'était plus difficile : une écriture illisible de gauchère (pourquoi les gauchers écrivent mal ?) et une orthographe fantaisiste... 
   C'était y'a 12 ans… Le temps est passé beaucoup plus vite que ce que j'avais imaginé. Je suis déjà si vieille !!!