Les humeurs changeantes d'Antigone

En fait, ce qui m'est le plus difficile, c'est d'admettre la conscience d'autrui. Je devrais me l'écrire sur la main, chaque matin : "Autrui pense aussi." Quand j'étais petite, je me demandais si les autres pouvaient comme moi se parler dans leur tête. Je ne le croyais pas, et n'osais poser la question, puisqu'ils n'auraient pas compris de quoi je voulais parler, puis on m'aurait peut être disséqué le cerveau ou que sais-je, et je préférais l'éviter. Je crois qu'il a fallu attendre la fin du CP, que la maîtresse (laquelle mourut d'un cancer quelques années après) nous demande de lire dans notre tête. Je me souviens bien que la fois où j'étais rentrée à la maison encadrée de deux flics, je me demandais s'ils pensaient. En route ils m'avaient longuement expliqué à quoi servait leur métier, je le savais très bien, mais comme je parlais vite, peut être n'avaient-ils pas retenu que j'avais presque 6 ans et que j'étais en CP, et qu'ils ne pouvaient pas comprendre mon air exaspéré. Aujourd'hui, j'ai toujours besoin de me rappeler à l'ordre. Par exemple quand on est à table avec mes grands-parents et que je fais la froide parce que je ne les aime pas vraiment, il faut toujours que je me répète que ce comportement risque de les blesser, puisqu'ils pensent, raisonnent, et sont donc capables de l'analyser, paraît-il. Et ça, je n'arrive pas à l'enregistrer une bonne fois pour toutes. Tôt ou tard, je croirais à nouveau que je suis entourée de pantins articulés. Autrui pense. Sent. Ressent. Comprend. Sait. Analyse… Et puis de toutes façons, ça me donne mal à la tête d'imaginer des tas de consciences bouillonnant là autour.