Les humeurs changeantes d'Antigone

Dans ma vie, il n'a jamais été question de se fermer ou de s'ouvrir des portes. J'ai toujours avancé sans savoir. Tout droit. La voie était tracée, il n'y avait pas de questions à se poser. Je suis arrivée en Suisse l'année du CM2, comme mon frère et ma sœur on m'a inscrite au lycée français de Lausanne. Là-bas c'était encore normal. Passage en 6ème sans aucun changement, tout était comme avant, les mêmes élèves qui ne m'aimaient pas et que je n'aimais pas, les mêmes bonnes-sœurs… J'étais une élève très moyenne, qui ne foutait rien, qui réussissait passablement. Toujours la même vie jusque fin 4ème, puis déménagement à Fribourg, inscription dans l'autre lycée français de Suisse romande, et là c'était la foire. Rentrée faite en 3ème, plus jeune élève de la classe, rapidement meilleure même en ne foutant rien, cependant je me sens immature et décalée dans cette classe, les filles qui ont 16 ans sortent en boîte… je n'ai pas encore 14 ans, alors après quelques crises je me retrouve en classe de 3CO (4ème française). Une année passée à ne rien foutre, mais je sors de là étant la meilleure élève. Moyenne d'hist-géo de 19 : une prof que j'adore vraiment à l'époque (ma prof d'éco l'an dernier et cette année), en français je m'améliore, apprends enfin l'orthographe, les sujets de rédac me font aimer l'écriture, je comprends enfin les maths. Mais pour tout le reste je régresse. Pas de possibilité de continuer le latin, je perds mon vague anglais, la classe n'en étant qu'à sa deuxième année, et je nage dans l'allemand, catapultée dans une classe de Suisses qui en font depuis 5 ans ; c'est une classe de fouteurs de merde, donc la prof d'allemand ne peut pas me donner de cours adaptés à mon niveau. La prof de physique-bio s'en va au milieu de l'année, ne sera pas remplacée. Je passe mon certificat suisse de fin d'études obligatoires, la direction remonte ma note d'allemand pour que je l'obtienne. Entrée en 3ème, petite classe de 8 élèves, pas d'amis, je suis la seule à fournir un peu de travail, le tout doublé d'une triche infaillible, pourtant brevet avec une moyenne de 18/20. Ils avaient retrouvé un prof de physique, viré d'une école publique pour des histoires de harcèlement sexuel, un total incompétent, je travaille par moi-même, partie dans l'idée que je ferais une série scientifique. Entrée en seconde. Un prof de maths super, je n'en ai plus eu de meilleur depuis, toujours les mêmes cons en physique et bio, me fait passer pour folle devant ma prof d'allemand qui téléphonera à ma mère pour lui dire que je ne ponds que des textes morbides. Ça m'amuse. Bonne partout sauf en langues. Pas de cours d'initiation à l'économie. Voyage de classe en Bretagne (très très longue histoire). Réunion d'orientation à la fin de l'année, mes parents s'aperçoivent que je suis en 2nde déjà. Excellente élève, très bonne tricheuse surtout. Les profs disent que tout m'est ouvert, mais je me crois avec certitude incapable de réussir en S, dans une école qui ne dispose d'aucunes infrastructures et je ne pense pas au futur, je ne sais pas ce que je veux faire. Obtient le prix d'excellence de l'école. Malgré la pression paternelle je choisirais ES. Rentrée en 1ère. Jamais vu une foire pareille. On mélange 3 classes pour les cours de maths, les terminales et les 1ères pour les SES, jeune prof de français qui ne connaît pas le système français. Je me refuse complètement à cela, en parle à mes parents, 3 semaines plus tard je serais chez la concurrence (heureusement que je fais ES, vu qu'ils n'ont pas de série S), malgré qu'elle ne soit pas reconnue par l'Etat français. Classe où je suis plutôt malvenue, l'Indiscret aurait voulu rester seul élève de ES, avait passé 2 mois dans ma classe en 2nde, me déteste, et n'hésite pas à donner aux autres élèves des préjugés sur ma personne. Mais je me fais ma place, le changement m'est bénéfique. Je triche moins, je réussis. Epreuves anticipées bien réussies, malgré la débilité du prof de bio. Et puis Terminale, m'aperçois qu'il y a une vie après le bac. Me maudit de n'avoir pas fait S, découvre que je suis complètement paumée, que je ne sais rien de mes possibilités. Je ne veux pas faire d'études d'économie ni de littérature.
Finalement je n'ai jamais eu de choix à faire. J'ai avancé tout droit, c'était tracé, je me suis habituée à subir les choses que l'on m'imposait, et à la paresse. J'aurais pu décider de faire S, demander à mes parents de me mettre pensionnaire au lycée de Lausanne, mais après les 4 années mortes que j'avais passées là-bas je ne me sentais pas capable d'en reprendre pour 2 ans. Si c'était à refaire je serais bien en peine de me décider.
Maintenant je n'ai plus qu'à assumer. Trouver et faire ce stage dans un bureau d'architectes, entrer à l'école d'ingénieurs et d'architectes, réussir les 4 années… Ou, et je le mets en tout petit vu que je sais que c'est impossible, entrer à l'EPFL. En fait, si c'était à refaire, il aurait fallu que mes parents sachent qu'on allait rester en Suisse, et me mettre dans le système Suisse à mon arrivée à Fribourg.
Mais on est tellement plus intelligent avec le recul… J'ai auto-verrouillé des portes dont je connaissais pas l'existence.

Là j'ai du battre largement le record du monde de l'article le plus chiant jamais écrit.