Les humeurs changeantes d'Antigone

— C'est la tempête, Monsieur, dehors ?
— Oui, c'est la fin du monde.

Je l'adore ce prof de philo. J'ai trouvé la simplicité de cette réponse épatante, de même que le ton dans la déclaration, c'était simplement excellent. (Faut pas chercher, je suis quand même un peu bizarre des fois.) Etait-ce cette sérénité face à l'approche de la fin du monde ? Ou ce qu'il avait dit en arrivant devant l'école : "J'aime le vent, ça balaie les idées.", car je venais de me le dire, et que ça colle tellement bien avec mes habituelles pensées ?
J'aime la tempête. Descendre du bus et se prendre en pleine face une rafale de cet air humide, un peu tiède et se sentir d'un coup rajeunir de 10 ans, et avoir envie de tout envoyer balader pour courir dans le vent, comme quand j'étais petite. C'est le vent d'Ouest qui me fait ça et le souvenir marin qu'il porte en lui… Et puis, une tempête de ce genre-là, ici et maintenant, c'est tellement incongru : ce soir il faisait entre 10 et 12 degrés de plus qu'il y a une semaine à la même heure. Dans l'école vide, ce soir, on entendait rugir le vent, on le sentait secouer la bâtisse et les volets se claquaient… Et là on a beau être en janvier, il est déjà 20h, mais c'est la fenêtre ouverte et une couverture sur les épaules que je tape mon texte ; j'aime le bruit de la pluie et la sensation du vent qui s'engouffre dans la pièce.

J'ai bien aimé aussi ce qu'il répété d'une thèse d'Emmanuel Lévinas : il ne faut pas dévisager l'autre, mais l'envisager, donc avoir une ouverture totale sur l'autre dont la nudité du visage représente l'Infini. Ne pas voir l'autre en se demandant à quoi il pourra nous servir. C'était sûrement pas exactement ça, mais ça doit être l'idée.

Maintenant je suis énervée et malheureuse. Je ne devrais pas souffrir à cause de lui, il ne devrait pas pouvoir me faire souffrir, je devrais être assez solide pour que rien de ce qu'il puisse me dire, ou faire ne me fasse mal. Mais voilà… Satanées larmes, satanée faiblesse, satanée tristesse ! Je n'en peux plus. Je ne veux plus faire confiance à personne (je dis ça, je dis ça… mais ça ne changera jamais, je serais toujours tellement emportée que j'accorderais encore ma confiance en moins de 10 minutes). Je risque de faire beaucoup de conneries cette semaine. Je les ferais en en étant consciente, en sachant très bien pourquoi je les fais, en sachant aussi ce qu'il faut que je me dise pour ne pas les faire, mais je les ferais quand même, parce que je suis conne, mais l'essentiel c'est de le savoir.

Le pire, c'est que tout à l'heure j'étais vraiment de bonne humeur. Il y avait eu ce vent, puis un café brûlant, sucré, doux, agréable et qui réchauffe vraiment, et j'avais descendu l'escalier en courant et pour la première fois depuis longtemps j'avais sauté par-dessus les dernières marches et j'avais cette impression curieuse d'avoir appris à sourire de cette manière là : "[Son] sourire […] s'ébauchait aux commissures des lèvres et gagnait lentement toute sa figure qu'il illuminait de son éclat." Lucy Maud Montgomery, Emilie de la Nouvelle Lune ; l'un des plus beaux romans de mon enfance. Et puis je me sentais légère mais bien réelle et je restai debout au milieu de la route pour sentir le vent se heurter à ma matérialité.

C'est quand même étonnant que ma bonne humeur ne puisse s'exprimer que par des actes enfantins, et qu'elle ne puisse jamais demeurer pendant plusieurs journées.

(Ceci est une réécriture de l'article que j'allais publier quand mon ordi a planté (inutile de dire que la version originelle était 1000 fois mieux ;))… Mais c'était de ma faute : utilisation simultanée de Mozilla, Msn, Kaaza, Word, Jabber, Démineur et dictionnaire français-anglais… J'essaie toujours de faire trop de choses en même temps, ce qui limite sérieusement ma productivité.)